Echo de la journée d'étude Hospitalité, regards croisés

  • Echo de la journée d'étude Hospitalité, regards croisés
    Echo de la journée d'étude Hospitalité, regards croisés
  • Echo à la journée d'étude Hospitalité, regards croisés

     

    Consentir à l’intranquillité par Marianne LUCE-BARBIER

     

    Cette journée organisée par l’ACF Rhône- Alpes, a mis à l’étude le signifiant « Hospitalité » en croisant les regards de cliniciens, de professionnels, d’élus, de citoyens, d’artistes engagés chacun à leur manière et toujours avec éthique dans la rencontre avec l’autre. 

    Nous avons été accueillis à la mairie de Grenoble, deux semaines après les élections présidentielles où le score du parti de la haine a été historiquement élevé en France. D’emblée, nous étions plongés au cœur de notre temps entre hospitalité et son envers l’hostilité.

    Au début de cette journée, j’ai été saisie par les mots de Virginie Fara « Choisir l’intranquillité ».

    La parole a habité les corps des intervenants et l’intranquillité en a été un des effets. La voix vacillante, les mains tremblantes, la parole emportée, les rires échappés de ceux qui témoignent de l’inattendu de la rencontre avec un sujet. La musicalité des mots du poème du collectif Folazil et la surprenante danse de la compagnie « Les Perchés » ont résonné en écho à ces échanges émouvants. 

    Je me suis laissée gagnée à mon tour par l’intranquillité. Une intervenante a osé dire que certains jours dans la rencontre avec des personnes fragiles, ce n’est pas un sentiment de bonté qu’elle ressent mais plutôt de l’hostilité. Cette hostilité arrive avec surprise et stupeur. Elle est comme cet hôte que l’on n’a pas invité, qui est déjà là et qu’il s’agit de recevoir.

    Comme le dit Freud, la haine est première. L’enfant parle d’abord pour dire « non », pour exprimer son refus et signifier l’absence de l’autre. Le ton direct et décidé d’Elisabeth Sénegas a fait également entendre qu’en nommant le raté, le manque apparaît et un espace nouveau peut s’ouvrir. L’hostilité serait donc nécessaire pour qu’il y ait de l’autre. 

    Si l’hostilité apparaît quand il y a de l’autre, de l’étranger, elle n’est pas sans rapport avec l’ « ex-time », ce qui est à la fois étranger et intime à nous-mêmes et qui provoque l’angoisse. Ressentir de l’angoisse dans la rencontre avec un corps parlant signale qu’il y a de l’autre. L’hostilité et l’angoisse ont donc leur utilité. Mais comment la psychanalyse traite cette hostilité ?

    Quand la neuroscience et la psychologie positive commandent de penser positif, de s’armer de méthodes, de savoirs, de protocoles universels et de vouloir le Bien de l’autre, la psychanalyse propose de créer et de bricoler des outils avec et pour chaque sujet. Selon F.X Fenerol qui a tissé le fil de cette journée, « l’hospitalité est un traitement de l’hostilité ». L’hospitalité n’est donc pas non plus la charité. Il ne s’agit pas de viser le Bien de l’Autre. Selon Freud, la guérison vient de surcroît, mais elle n’est pas à chercher. Or, comme l’a dit si bien N. Borie : « l’hospitalité est une offre qui ne sait pas ce qu’elle accueille ». 

    Deux éducatrices spécialisées ont exposé avec finesse leur pratique avec des sujets désarrimés. Elles choisissent d’y aller d’une présence discrète, et consentir à ne servir à rien. Ainsi, porter le rien, le manque de son côté permet de se décaler des protocoles établis et d’inventer avec chaque sujet. Consentir à l’intranquillité c’est donc y aller de son corps, de son désir (et non de sa volonté) pour que de l’inattendu, de la nouveauté puissent jaillir d’une rencontre. 

    Pour ponctuer cet écho, je m’appuierais sur les mots de J.Lecaux: « c’est par la disponibilité, par le fait de se prêter à l’inconfort d’une rencontre sans méthode, que souvent on arrive à inventer ou à attraper quelque chose qui permet de faire vivre le discours analytique ».1

    Cette journée m’a fait redécouvrir combien la psychanalyse est un discours rigoureux, une pratique vivante, du côté de l’invention. Elle donne un nouvel élan, un désir nouveau pour aller à la rencontre de l’autre en joyeux intranquilles.

    1 IRONIK, « Myriam Chérel interroge Jérôme Lecaux », Lacan sens dessus dessous, N°32.

     

     

    Écho de la journée par Rafaële NALON

     

    Sur l'affiche de la journée organisée le 7 mai à Grenoble, une œuvre d'Arthur Bispo de Rosario. Cet homme, pendant 50 ans, solitaire à l'asile où il était interné, à partir des menus objets du quotidien, a travaillé sans cesse à ses créations. Il ne s'est jamais reconnu artiste et cependant son œuvre nous touche avec une force peu commune. L'écrit se mêle à ses créations plastiques et vient dire ce qui ne peut se formuler.

    Une intervention à partir du livre d'Edmond Jabès « L'hospitalité de la langue » est venue ponctuer cette belle journée. « Les mots changent-ils quand ils changent de bouche ? » et ceci constitue de fait le fil rouge de toutes les interventions : c'est dans la langue que le sujet trouve d'abord son asile, et c'est par la langue que peut se nouer la possibilité d'une rencontre. L'expérience des éditions Fol'azil illustre cette fonction primordiale du langage, l'écrit comme moyen de trouver sa place.

    « Faire accueil à l'impossible »

    Pour les différents intervenants il s'agissait de « faire le pari que quelque chose va se passer ». Inventer un temps et un lieu pour que la parole puisse se déployer, que le sentiment d'abandon, la colère, trouvent une autre issue que la violence. Créer un lieu où les gens pourront se retrouver. Mais ce qui fait l'hospitalité, ce n'est pas le lieu, ce sont les accueillants. Rien à voir avec l'accueil inconditionnel dont se gargarisent nombre d'institutions, mais un accueil à partir du contact, de l'humain, où un « Non » peut éviter le piège de la charité et donner au sujet toute sa dignité.

    Hospitalité et hostilité ont la même racine, pour Freud la haine est première, on repère bien à quel point il est nécessaire de reconnaître l'agressivité en jeu pour chacun. Repérer le point d'agressivité qui nous meut pour avoir une chance d'éviter l'hostilité et la violence qui en découlent.

    « Hospitalité, le temps du premier pas »

    Trois interventions qui déplient le temps de l'accroche, ce qui permet ou pas la rencontre. Ne rien proposer mais être là, respecter le dire du sujet sans céder aux injonctions sociales d'agir au plus vite. Donner d'abord du temps. On peut y voir l'illustration de la fraternité discrète qu'évoque Lacan.

    Dans tous les cas, partir du dire des sujets, s'enseigner de ce qu'ils apportent pour créer la possibilité de la rencontre. Pas de demande chez ces sujets, mais une exigence « je veux décider » et c'est quand ce JE est accepté que les choses peuvent commencer. Pour ces sujets réduits à leur corps, c'est un travail de proximité, sans attente, qui peut permettre du nouveau, « la dignité, c'est n'être pas réduit à son besoin ».

    La présentation du CPCT par Nicole Borie vient préciser ce qu'est un acte de parole et le travail incessant à fournir pour parvenir à suivre ce qui se présente. Dans ce lieu pensé pour l'accueil de « ceux qui ne cessent pas de s'inscrire nulle part », lieu voué à l'accueil du tout-venant, de quiconque en fait la demande, il s'agit d'abord de créer un vide pour que les difficultés quant au sentiment de la vie puissent se dire.

    Permettre par un acte de parole d'instituer celui qui vient, et lutter pour obtenir des solutions, très modestes, mais toujours uniques.

    « Ce n'est pas ce que nous croyons la précarité que nous accueillons, mais la décision d'un sujet de s'inscrire dans le monde, ce qui, pour chacun est toujours précaire ».

    Puis vient la ponctuation de cette journée de travail par la reprise lumineuse des propos des intervenants « venus témoigner pour ceux qui ne seraient jamais venus ». Ponctuation et non conclusion puisque le propre de l'hospitalité est de ne pas conclure.