Echo de la soirée Bourse aux cartels

  • Echo de la soirée Bourse aux cartels
    Echo de la soirée Bourse aux cartels
  • Deux échos de la Bourse aux cartels du 14 Septembre à Grenoble

     

    Echo 1 Amélie Vindret

    Anne-Laure Pellat nous a fait la surprise d’inviter Philippe Bouret, psychanalyste, membre de l'ECF, à notre dernière soirée des cartels : il nous a maintenu en haleine en racontant l’histoire d’un cartel. Dans une articulation logique, il a déployé des points essentiels toujours à actualiser dans l’usage de ce dispositif.

    « Un cartel a eu été »

    Avec cette formule, Philippe Bouret insiste sur l’émergence de ce dispositif et de ses productions. Nous sommes alors introduits dans le monde du théâtre où nous découvrons qu’un cartel a fait évènement en 1927 !

    Pour commencer, des hommes de théâtres intranquilles se rencontrent à partir d’un signifiant, « nu » et du transfert à un homme, Jacques Copeau.

    Une école

    Jacques Copeau dénonce le « ronron » du théâtre auquel il oppose l’invention. Il craint que le théâtre ne s’enlise au sein d’une élite ou se corrompe dans la foule. Pour soutenir l’invention, il désire fonder une école sans chefferie en lui donnant une orientation soutenue par des textes. Cette école voit le jour en 1915 dans le théâtre du Vieux Colombier.

    Des rencontres

    Jacques Copeau rencontre Louis Jouvet et le comédien Charles Dullin soutenant un théâtre « sans truc ». Puis dans son école, Gaston Baty un marionnettiste, qui considère le théâtre comme l’art de l’inexprimé, croise leur chemin. Pour lui, c’est le choc des répliques qui révèlent les sentiments les plus profonds. En 1921, Georges Pitoëff, un homme de théâtre des plateaux nus, les rejoint. Chaque un de ces hommes devient directeur d’un théâtre parisien et soutiendra la possibilité d’inventer dans leur lieu.

    Une lettre

    Dans une lettre Copeau demanda à Jouvet de poursuivre la possibilité d’un théâtre subversif en lui donnant une indication précieuse : « en te sentant tout à fait libre, sans te sentir tout à fait seul. »

    Acte de fondation

    En 1927, Jouvet fonde alors le cartel des 4 avec Pitoëff, Baty et Dullin. Il est déclaré dans un texte publié dans Entracte, une revue de théâtre qui souligne, avec son nom, un intervalle.

    Chaque membre du cartel, reste maître de son navire : pas de programme commun. Ce cartel, comme organe de base d’une école de théâtre en mouvement, se poursuivra jusqu’à la mort de Pitoëff.

    1964

    Lacan, un autre penseur de génie, fait du cartel un organe de base lors de la fondation de son école. Rien ne laisse penser, dans les traces qu’il a laissées, qu’il s’est appuyé sur le cartel des 4 pour faire usage de ce dispositif afin d’articuler l’étude de la psychanalyse et le désir de savoir de chaque cartellisant. Une différence cependant : le temps. Si le cartel des 4 s’est poursuivi jusqu’à la mort d’un de ses membres, Lacan propose une année renouvelable une fois si besoin.

    Si la visée de la limite du temps est d’échapper aux effets de colle, elle permet aussi d’appréhender ce qui échappe au temps et de border ainsi une place pour le surgissement.


    Echo 2 par Laurent Dartigues

    Philippe Bouret était venu en 2019 à Grenoble avec Louise Lambrichs, une petite Escapade entre deux escales sous la forme d’une conservation au sujet des écrits de l’écrivaine au sujet de l’ex-Yougoslavie.

    Philippe Bouret est psychanalyste, membre de l’ECF, auteur de poèmes, de dessins et il prône, non, il pratique une « psychanalyse en expansion », la sienne. Mais il ne faut s’y tromper, si l’univers en expansion se refroidit, la psychanalyse en expansion réchauffe : cette psychanalyse hors les murs qui va à la rencontre non des textes mais des artistes « parlants et vivants » pratique une écoute qui fait advenir, d’inspir en expir, d’expir en inspir, un souffle qui tisse un récit original sur la création artistique.

    En invitant Philippe Bouret à La Bourse aux cartels de Grenoble le 14 septembre dernier, Anne-Laure Pellat nous a fait un « heureux présent ». C’est par là que j’aurais dû commencer. Le représent aurait pu être le titre du prochain « essai dialogué » né de la rencontre de Philippe Bouret avec Daniel Mesguich (il paraîtra en mars 2023). J’ai compris ma méprise quand Philippe Bouret est revenu plus tard sur le mot qui se trouve être une invention de Mesguich, plutôt mal-heureuse selon Philippe Bouret. Il n’empêche, le représent fut un heureux présent, un heureux présent au carré du reste, l’invitation d’Anne-Laure Pellat et le cadeau de Philippe Bouret.

    Anne-Laure Pellat m’a sollicité pour en écrire l’écho. L’écho d’un écho en fait, l’écho de ce qui a fait écho pour Philippe Bouret, un écho au carré, un écho2. De l’univers en expansion à la psychanalyse en expansion, il allait bien falloir tomber sur la fameuse équation Écho = mc2.

    Sauf que ce qui a fait événement en 2014 pour Philippe Bouret, « un cartel a eu été », et lui a constitué un savoir « recomposé », a aussi fait événement pour la psychanalyse à travers Lacan qui en fait un usage inédit en 1964, puis en 1980, a en réalité des racines lointaines, elles plongent au début du siècle, du siècle dernier. Vous l’admettrez, « un cartel a eu été », confiné dans un espace-temps limité a donc paradoxalement eu une longue vie et continue de vivre aujourd’hui dans la myriade des cartels de la galaxie psychanalytique, dans le corps de Philippe Bouret, bien au-delà de l’écho originel ; et il ne s’agit pas de répétition, mais d’emblée d’écart, d’invention et d’expansion.

    Il était une fois… Oui, il me faut vous dire qu’il s’agit d’un conte historique. Les obsessionnels dont je compte y verront une énigme à résoudre, une enquête policière, voire un thriller. Mais bon, il était une fois Louis Jouvet. C’est lui qui invente en 1927 le dispositif du cartel, comme dispositif de travail avec un formalisme singulier et au service d’une école nouvelle : bref, la structure du cartel en psychanalyse est déjà là. Si j’écrivais un écho, je m’en arrêterais là. Je pourrais à la limite rajouter : Toute ressemblance avec une situation qui vous est familière est fortuite… ou peut-être pas. Thas is the question. Mais ceci n’est pas un écho, j’espère que la Newsletter m’en excusera.

     

    L’origine est l’« obsession embryogénique » des historiens, écrit Marc Bloch qui l’avait en horreur. Il est loisible pourtant d’en faire un usage dépouillé de toute idolâtrie et somme toute assez joyeux. C’est ce que nous a proposé Philippe Bouret. Avec un récit non chronologique, éclaté. Rendez-vous en 2014. Philippe Bouret est préoccupé par la question du lien entre le théâtre et la psychanalyse et prend connaissance de la pièce Elvire Jouvet 40. Petit saut vers 1987, au moment sa création par Brigitte Wajeman, une amie de Lacan, pour le Théâtre national de Strasbourg, avec la collaboration de François Régnault, à partir de cours prononcés en 1940 par Louis Jouvet et sténographiés par Charlotte Delbo. La pièce est filmée par Benoît Jacquot. Oui, il me faut vous dire que c’est une histoire de famille, de famille lacanienne, une famille pas de tout repos, sinon ce ne serait pas un conte ou un mythe, mais une mièvrerie au mieux. Et du reste, Daniel Mesguich – il est très lacanien Mesguich – en parlera dans Le représant. Enfonçons-nous encore, enjambons pour le moment 1927, observons 1924 et la constitution du Cartel des Gauches : le signifiant est là, il est politique et il prêt à être saisi. Encore plus loin. En 1908, Jacques Copeau cofonde la NRF et publie dans la revue de 1909 un article « Le métier au théâtre » qui dénonce le pouvoir des critiques et le théâtre commercial. Déjà, il éprouve le désir de fonder une école « sans chefferie » qui soit une orientation adossée à des textes théoriques. En 1910, Copeau rencontre Jouvet et le comédien Charles Dullin. Un premier triangle amoureux, le promoteur d’un théâtre « sans trucs » ni ficelles ne pouvait qu’apprécier l’idée de plateau nu ou de tréteaux nus. Poussons un peu en avant. En 1915, Copeau crée l’école du Vieux-Colombier, le nom du théâtre qu’il fonde 2 ans plus tôt. Et il rencontre le marionnettiste Gaston Baty. Un deuxième triangle amoureux, Copeau, Jouvet, Baty. Et bientôt un carré, avec Georges Pitoëff, un autre homme de théâtre qui les rejoint en 1921 et affectionne les sobres décors. Trop de chiffres ? Peut-être. Mais retenons surtout qu’il y a du transfert, des sentiments, du désir articulés à l’idée de « nu ». Ça fait un peu taoïste, ce qui tient la roue (en bois), c’est le vide d’où jaillissent les rayons. Retenons surtout aussi cette admirable lettre de 1924, ce don de Copeau à Jouvet sur la nécessité de chercher et de poursuivre l’aventure « en te sentant tout à fait libre, sans te sentir tout à fait seul ». Et revenons par conséquent en 1927. À l’initiative de Jouvet est fondé avec Dullin, Baty et Pitoëff le Cartel. C’est dommage que Godard n’ait pas connu ce Cartel des 4, il aurait peut-être réalisé « Les Chinois ». Qui sait ?

    En tout cas, ils se sont choisis pour un théâtre d’avant-garde, tout comme ils se choisissent un secrétaire général. Pour filer la métaphore du chiffre, appelons-le le +1. Et leur Cartel, il le déclare publiquement dans un texte publié dans L’Entracte, une sorte de manifeste qui prône la liberté artistique de chacun des théâtres que ces hommes dirigent : « chacun reste seul maître de son exploitation », telle est la formule du manifeste. Ensemble et au un par un, dans un cartel « sans chefferie », animé par le désir d’orienter une théâtre nouveau et d’instaurer une école qui cherche.

    Retour vers le futur : le lourd rideau de velours tombe, il est 22 h à la Chimère, l’heure de se libérer de l’enchantement du conte en forme de « grand hommage » à Lacan : s’il n’a pas inventé le cartel, il a assurément inventé un usage original pour la psychanalyse.