Echo de la soirée : Mythe, société et subjectivité - rencontre avec Philippe Beaujard

  • Echo de la soirée : Mythe, société et subjectivité - rencontre avec Philippe Beaujard
    Echo de la soirée : Mythe, société et subjectivité - rencontre avec Philippe Beaujard
  • Echo de la rencontre avec Philippe Beaujard. Mythes, société et subjectivité 

     

    Par Anne-Laure Pellat

    L’ACF Rhône-Alpes, le mercredi 7 septembre 2022, a organisé une rencontre avec Philippe Beaujard, anthropologue et historien, directeur de recherche émérite au CNRS et rattaché à l’Institut des Mondes Africains.

    Notre désir d’ouverture a été pris au vif et a servi d'aiguillon pour l'engagement que nous avons acté dans cet évènement. C'est sous la forme d'un partenariat, qu'il s'est construit : partenariat avec la belle librairie grenobloise Arthaud ; avec une association amie, La chimère citoyenne ; avec Fanatenane auprès de laquelle plusieurs de nos collègues sont engagé(e)s et enfin, avec l'institut INAS d'Argentine, grâce auquel nous avons été en lien par visioconférence.

    Notre désir d'ouverture a trouvé son inspiration dans la perceptive de rencontrer Philippe Beaujard dont la présentation s'est appuyée sur deux de ses ouvrages : Mythe et société à Madagascar (Tanala de l’Ikongo)1; Mythes et contes de Madagascar, L’empreinte du rêve2.

     

    Sur 23 années, Philippe Beaujard a recueilli plus d'une centaine de contes et de mythes en particulier dans le pays Tanala. Le contexte social dans lequel ces récits sont transcrits ont une importance significative mais, Philippe Beaujard les éclaire d'une autre lecture : ils sont aussi le miroir dans lequel se reflète une société. On peut y lire les rêves, les désirs et les angoisses qui traversent les hommes.

    Si les contes ont pour fonction de divertir au soir tombé, les mythes ont, quant à eux, un caractère sacré. Ils dessinent les contours des tabous, les zones d'impureté, variables selon les ensembles sociaux, et par là-même les contours de l'espace symbolique d'un certain ordre social. Chez les Antambahoaka, l'impureté est incarnée par les jumeaux alors que chez les Antemoro, elle est projetée sur d'anciens clans autochtones réduits au statut de parias appelés antevolo.

    Les "rois coutumiers" au sein d'une société, porteurs du pouvoir symbolique, sont les gardiens des tabous et de fait d'un certain ordre. Si l'on touche à un tabou, c'est la structure même de la société qui se trouve ébranlée. L'ensemble du corps social est mis en danger par la menace d'une pollution qui, faute de rester localisée, se généralise.

    L'impureté des jumeaux ou des parias est une croyance qui ne s'éduque pas. Elle est une assise prise dans un système religieux. Elle ne peut donc être enlevée sans une suppléance.

    Philippe Beaujard indique que le mythe ne sert pas à peindre le réel mais plutôt à dessiner les contours du possible. Les travaux des anthropologues, et ceux de monsieur Beaujard en particulier, aident à en ouvrir les voies et à considérer les enjeux de l'intervention de la psychanalyse dans d'autres cultures que la nôtre. Aller à leur rencontre, c'est consentir d'aller à la rencontre de sa propre altérité. Le psychanalyste, comme le dit Jacques Lacan, est celui qui peut rejoindre la subjectivité de son époque 3et s'il place l'ignorance de son côté pour apprendre de l'Autre il n'est pas sans savoir sa fonction d'interprète dans la discorde des langages 4

    Nos collègues, engagés auprès de l'association Fanatenane qui s'occupe depuis de nombreuses années de recueillir les jumeaux maudits de Madagascar, ont pu interroger avec Philippe Beaujard la fonction de ce mythe et explorer la façon dont il serait possible de faire bouger le tabou qui s'y associe. Ces échanges donnaient progressivement la mesure de ce que "être exclu" veut dire. Comme le disait Delia Steinmann au cours de cette soirée : lorsqu'on veut exclure quelqu'un, il faut construire un mythe. Ce point précis n'est pas sans concerner les enjeux de nos sociétés occidentales. Nous avons nous aussi nos jumeaux maudits qui restent, sous prétexte de mythes contemporains, à la frontière de notre monde. A eux aussi, cela coûte la vie. Il se peut bien que les recherches qui portent sur des contrées lointaines, celles des anthropologues, celles des psychanalystes, nous transmettent des enseignements qui ébranlent nos propres mythes et redessinent les frontières, au moins celles de nos esprits.

    1 Beaujard P., Mythe et société à Madagascar (Tanala de l'Ikongo), Paris, L'harmattan, 1981.

    2 Beaujard p., Mythes et contes de Madagascar (Tanala de l'Ikongo), L'empreinte du rêve, Paris, Ed. Hemisphères, 2022.

    3 Lacan J., "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse", Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.321

    4 Idem.

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    Bibliographie transmise par Philippe Beaujard