Echo Journée de travail "D'un regard à l'oeuvre"

  • ECHO DE LA JOURNEE DU 14 OCTOBRE 2023

    "D’un regard à l’œuvre", regard croisés

     

    par Adèle Geofroy 
    D’œuvres et de regard, il en fut question pour cette journée d’étude, riche, plurielle, ambitieuse. Rien de moins que le travail de deux cartels pour construire, circonscrire, attraper, ce qui sera le fil conducteur de ces rencontres, cet objet qui échappe et qui pourtant nous concerne. Il y fallait d’autres regards, d’autres paroles, ce croisement de l’art et de la psychanalyse, parce que « l’histoire de l’art est tendue en son fond par la question de l’objet, suivant un chemin allant de sa représentation à sa disparition et sa négation » 1 . C’est par une orchestration magistralement rythmée entre petits commentaires, questionnements, lectures d’extraits de La chambre claire de Roland Barthes, croisés avec Ni nature, ni morte, les vies de la nature morte de Gérard Wajcman, donc à plusieurs corps et plusieurs voix que les échanges ont été soutenus, partagés entre Éric Marty, Gérard Wajcman et tous les collègues qui y ont mis leur désir.
    Éric Marty nous a rappelé la fonction capitale du Punctum, déjà soulignée par nos collègues, dans ce livre sur la photographie de R. Barthes. Il a développé avec précision la manière dont le regard est traversé, animé par des pointes, par des piqûres, qui viennent produire pour le sujet, une aventure, dans sa manière de regarder. C’est toujours une affaire de détail. Je vois, mais que vois-je ? Qui me regarde ? « L’effet est sûr, mais il est irrepérable, il ne trouve pas son signe, son nom, il est coupant et atterrit cependant dans une zone vague de moi-même, il crie en silence. Bizarre contradiction, c’est un éclair qui flotte » 2 . Le punctum permet de réintroduire la subjectivité et de rappeler l’invitation de la psychanalyse à se déprendre de l’image. N’y a t-il pas chez Lacan, d’ailleurs, un mathème de la fascination, objet a sur moins phi ?
    De son côté Gérard Wajcman nous rappellera que dans chaque séminaire sauf un, il y a chez Lacan des références à des œuvres d’art : « le discours sur l’art de Lacan est parfaitement inouï, l’histoire de l’art moderne et contemporaine n’est-elle pas une histoire lacanienne, précisant qu’une doctrine de l’art en général ça n’existe pas ? Il y a des œuvres et des œuvres singulières » 3 . Lacan a traité les œuvres comme des objets, or la doctrine de l’objet suit la courbe de l’art, « ça tombe ». Alors que G. Wajcman est déjà dans un après nature morte, (préparant une grande exposition à Pompidou-Metz, s’intitulant Lacan, l’exposition - Quand l’art rencontre la psychanalyse) son exposé nous permettra de saisir précisément le rapport à l’art de Freud et celui de Lacan.
    Chez Freud « ça ne tombe pas, tout ce qui relève de l’art, ça s’élève et ça élève, c’est du registre de la sublimation » 4 . Freud tenait les œuvres pour des formations de l’inconscient, l’art est donc interprétable. En revanche, si l’on considère les œuvres d’art sous le joug de l’objet, l’art n’est plus interprétable mais les œuvres deviennent interprètes. Ainsi, si Freud s’intéresse à la manière dont naissent les œuvres d’art, pour Lacan « c’est l’effet de l’œuvre d’art sur les regardeurs », qui fait point d’intérêt, nous dit G. Wajcman.
    Nous comprenons mieux alors ce qui l’a amené aux Natures mortes « celles-ci seraient anti-freudiennes, elles vont vers le bas, parlent de ce qui est commun, s’intéressent aux petites choses, soit aux objets indignes, sachant que ce qui va vers le bas, c’est le mouvement de l’art contemporain » 5 . Il est frappant de constater que les œuvres de Duchamp, annonciateur de la venue en masse des objets en même temps que l’entrée de l’objet pulsionnel au musée (Ready made : la pissotière) n’ont pas « regardé » Freud. Il reste du côté du sublime, Lacan lui, « vient brider l’ascenseur du sublime, traçant un nouveau chemin de la sublimation « le point le plus élevé de ce qui est en bas, SKB » 6

    Une réussite cette journée, « produisant un effet de réveil ou de désaveuglement » ! Quelque chose ici touche au Réel de la cause, selon les mots conclusifs de Mai-Linh Masset, Déléguée régionale de l’ACF en Rhône-Alpes.

     

    1 Wajcman G., Ni nature, ni morte les vies de la nature morte, Nous, p. 140.
    2 Barthes R., La chambre Claire, p. 87.
    3 Intervention de G. Wajcman lors de cette journée du 14 octobre 2023.
    4 idem
    5 idem