L'athéisme aujourd'hui, conditions et possibilités

  • Affiche Colloque ACF R-A l'athéisme aujourdh'ui
    Affiche Colloque ACF R-A l'athéisme aujourdh'ui
  • En avant première, nous vous dévoilons l'argument de chaque intervenant

    Nicole Edelman: Freud et l’incroyance

    Vu l’ampleur du sujet, je centrerai mon propos d’historienne sur les arguments qui lient psychanalyse et incroyance et sur la manière dont Freud explore la croyance pour élaborer la psychanalyse dans des conditions de production historiques particulières. Les dernières décennies du XIXème et les premières du XXème sont en effet traversées à la fois par de fortes controverses opposant science et religion, par un renouveau de l’occulte, par de nouvelles formes de l’incroyance, par une grave crise économique et par la barbarie de la Grande Guerre.

     

    Nicole Gengoux. "Comment peut-on être athée au XVIIe siècle ? De l'insulte à la défense".
    L'athéisme au XVIIe siècle ne s'avoue jamais comme tel, car il est considéré comme immoral, pire : inconcevable (Dieu a déposé des germes du croyance dans nos cœurs ). Pourtant, il est réellement présent au sens où beaucoup nient l'existence d'un dieu, de toute transcendance ; affirment qu'il n'y a pas de valeur absolue du Bien, du mal etc. (Retour sur scepticisme antique) ; l'homme suit toujours ses instincts et la vie la meilleure consiste à suivre la nature (retour du naturalisme antique). Le seul problème qui se pose est politique : comment ne pas nuire aux autres ? D'où une réponse fréquente chez les "libertins" : la religion comme invention des politiques pour contenir le peuple dans le droit chemin. Mais cette réponse est trop simple et évacue le problème moral et philosophique : ne peut-on penser autrement la morale ? Autrement, le bien et le mal ? Des auteurs ont traité ce problème, de façon différente : La Mothe le Vayer, l'auteur anonyme du Theophrastus, Cyrano, Bayle etc.

  • Juan Pablo Lucchelli: L'homme-Dieu: Kojève, Lacan et le transhumanisme.

    Il y aurait un point en commun entre les transhumanistes et les psychanalystes :tous les deux estiment que l’être humain est défectueux. Il s’agirait d’un défaut de naissance. Il est vrai qu’en cela ce sont deux perspectives compatibles avec nos religions. Mais il y a une différence importante entre le transhumanisme et la psychanalyse. Le premier tend à réparer la faille ; la seconde, au contraire, honore la faille, et la radicalise en quelque sorte. Il n’y a pour la psychanalyse aucun regret, comme pour les transhumanistes, concernant ce que fait défaut à l’être pulsionnel. Dès les années 30, le philosophe Alexandre Kojève, le seul maître de Lacan, s'est intéressé à l'Homme-Dieu au point de devenir le centre de sa lecture philosophique qui sépare les Anciens et les Modernes. Quelque chose de cette divinité humaine prend des formes paradoxales dans ce
    que l'on nomme aujourd'hui le transhumanisme.

    Christian Chaverondier : Trajets de la croyance dans le film " L'apparition" de Xavier Giannoli"
    Dans son récent film « l’apparition », Xavier Giannoli croise les questions de la vérité et de la croyance. Un journaliste, interprété par Vincent Lindon, récemment touché par le décès d’un collègue photographe de guerre, accepte de participer à une commission d’enquête canonique qui étudie la validité du témoignage d’une jeune fille à laquelle la vierge serait apparue.Nous proposerons une lecture de cette enquête et de sa mise en scène, éclairée par la formule de Jacques Lacan : « Dieu est inconscient».

    Nicole Borie : Hérétique, orthodoxe, ou athée peut-être ?

    Depuis une dizaine d’année le religieux revient en force, les vieux termes d’hérésie, de blasphème, de péché, de martyre, voire d’apostasie circulent sur la toile. La tradition fait son retour sur le mode d’une orthodoxie pure et dure dans toutes les religions.La liberté de croire et d’adopter le mode de vie religieux accolé à cette croyance est revendiquée. La croyance relie le choix intime et une conception d’un universel. Pourtant la religiosité qui envahit l'époque semble bousculer nos idées reçues. Il y a seulement quelques années nous avons vu se lever des prophètes capables de s’adresser au un par un, à des adolescents et à des moins jeunes n’importe où dans le monde et de les agréger dans une armée d’aspirants au martyre.L'acmé de ce mouvement semble passé mais le mouvement est profond et instable. Que nous enseigne-t-il sur ce paradoxe relevé par Lacan qu'il est difficile d'être athée ?

  • L’athéisme aujourd’hui : conditions et possibilités

    Loin d’un déclin, le religieux revient. Si les discours de la science et du capitalisme ont déplacé notre rapport à la religion et à la tradition, « on doit constater, que l’âge de la science n’a pas fait s’évanouir le sens du sacré 1», que le sacré n’est pas un archaïsme. La science moderne n’est-elle pas venue prendre la place du Dieu de Descartes, celle de l’Autre qui ne trompe pas ? Mais là où la religion donnait une place à chacun dans un monde ordonné et du sens à sa vie, la science semble laisser chaque sujet sans repères pour s’orienter. Ainsi dans nos sociétés sécularisées, « l’apparent consensus sur l’éloignement du religieux de l’espace public, sous le nom de laïcité 2» domine les discours de nos institutions et les pratiques des champs médico-social et éducatif. Mais alors que notre présent immédiat convoque l’affrontement religions/athéisme, nourrissant la pente d’un absolutisme de part et d’autre, comment orienter nos pratiques et ménager un espace nécessaire à la réflexion ?

    Sigmund Freud et Jacques Lacan n’ont pas fait mystère de ne pas partager les croyances promues par les religions de leurs proches ; ils n’ont pas non plus cédé aux sirènes du fascisme, du national-socialisme, du marxisme-léninisme ou du maoïsme. Pour autant, ils n’ont pas été convaincus par les promesses du capitalisme envers lequel ils ont toujours soutenu une position critique, prenant en compte, avec d’autres, la cruauté de l’asservissement et des effets de ségrégation que son déploiement induit - ce en quoi il constitue une menace pour ce que l’on peut nommer civilisation.

    L’effort d’athéisme résonne donc de l’intime au politique…

    …mais constatons « l’absence de véritable questionnement sur la possibilité de l’athéisme 3».

     

  • Dans la relation transférentielle, l’analyste n’a pas à prendre position sur les croyances du sujet. Et à propos de Dieu, Lacan nous invite à jouer avec ce paradoxe : « On peut aussi bien s’en passer à condition de s’en servir 4».

    Rien, chez Sigmund Freud et Jacques Lacan ne tenait du cynisme. Gageons qu’il en allait de cet effort d’athéisme dont ils ont fait question éthique fondamentale pour l’exercice de la psychanalyse. Effort d’athéisme qui serait nécessairement au cœur de toute foi et de toute croyance, foi et croyance consubstantielles au lien social des êtres parlants, dès lors qu’ils ont décidé de ne pas céder à la jouissance de l’Absolu, donc au fanatisme, par la forclusion de l’Altérité.

    Que serait et que désigne cette possibilité, possibilité qui nécessite un effort, dans l’exercice même de nos pratiques de rencontres et de traitements de « ce qui ne va pas » chez ceux que nous recevons dans nos cabinets ou nos institutions ? Qu’en apprenons-nous de ce qui alors fait orientation ?

    C’est l’enjeu, ici éthique, que nous proposons de mettre au travail.

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    1 Jacques-Alain Miller, Le retour du blasphème, Lacan quotidien N° 452, 10 janvier 2015.

    2 Eric Laurent, L’envers de la biopolitique – Une écriture pour la jouissance, Navarin – Le Champ freudien, 2016, p. 235.

    3 idem.

    4 Le Séminaire, Livre XXIII, Le sinthome, p. 136.