Newsletter Juillet 2020

  • Newsletter ACF Rhône-alpes

    NEWSLETTER | JUILLET 2020

    EDITORIAL

    « Nous ne savons renoncer à rien ».

    En 1908, dans « La création littéraire et le rêve éveillé », Freud dit du renoncement qu’il est impossible ! « Nous ne savons qu’échanger une chose pour une autre » dit-il. Oui, nous ne savons renoncer à rien, et avec cet irréductible, qui nous conduit jusqu’au soir de notre vie, nous engageons la partie, singulière, hors norme, insoupçonnée.

    Ces derniers mois, nous avons beaucoup échangé, une date contre une autre, une idée pour une nouvelle perspective, un projet pour un réaménagement. Il a fallu tenir compte du réel qui s’abattait sur nos réalisations et nos projets, imposant sa temporalité. Annuler, reporter, transformer ? De toute façon, toujours échanger. Dans le creux de l’un à l’autre, quelque chose s’est à la fois perdu, puis retrouvé. Puis se perdra de nouveau, c’est de structure. Entretemps, nous nous serons faits aventuriers, dans un espace-temps inédit. Si la survie relève du confinable – et parfois il le faut bien, l’aventure, quant à elle, en subvertit les limites1.

    Aujourd’hui, dans ce tournant particulier qui conjoint pause de l’été et horizon toujours sous le coup du réel, au moment où se dessinent nos perspectives de rentrée, quelle sera notre aventure ? Eh bien prenons le mot au pied de la lettre : une aventure, pourquoi pas sexuelle ? Aventure, en effet, à s’avancer vers ce qui n’est ni d’harmonie ni d’adaptation, mais désorientation pour le parlêtre, le sexe comme « malédiction » disait Lacan. Précisément, le titre des prochaines Journées de l’Ecole de la Cause Freudienne, « Attentat sexuel », est en prise avec ce qui résonne dans l’espace où nous vivons, celui du privé comme celui du public. Se tenant au plus près des enjeux de notre temps, il fait résonner le réel qui surgit dès que deux corps parlant se rencontrent : séduction ? emprise ? consentement ? effraction ? De ce réel non soluble dans « les bonnes pratiques » qui accorderaient les corps, effaceraient l’embarras, le sujet peut s'en faire responsable, c’est-à-dire se rendre là où le rapport fait défaut. En ce sens, le respons est en lui-même forçage, tout aussi bien que le plus éthique du sujet.

    Notre Newsletter est orientée vers les cinquantièmes journées de l'Ecole de la Cause Freudienne qui auront lieu à Paris les 14 et 15 novembre 2020. Pour préparer ce moment important, différents évènements auront lieu en région. A Lyon, nous vous proposons, la « Semaine à quatre temps » du 12 au 15 octobre 2020, à laquelle se joindront, en septembre, d'autres propositions des villes de notre région. Des précisions suivront dans notre Newsletter de septembre. Toujours dans cette perspective les cartels seront au travail.

    Enfin, l’aventure, c’est aussi le travail de l’écriture qui se reprend et/ou se poursuit : Echos des événements, textes singuliers dans notre rubrique « (dé)confinement ». Poussez votre lecture jusque-là, ils sont formidables !


    Véronique Herlant, Déléguée régionale

     

    1« Il faut toujours préférer l’aventure à la survie », Jacques-Alain Miller, La passe : effets et résultats, Journée des A.E, Paris, Rue Huysmans, 2000, p.29

    Les 50 ièmes Journées de l'ECF

    14 et 15 novembre 2020 | Paris

    J50
    ATTENTAT SEXUEL

    Quatre arguments, un extrait.


    Début de l'extrait de l'argument de Laurent DUPONT

    "Attentat sexuel, l’expression vient de Freud. Citons ce passage, il s’agit d’Emma : « À l’âge de huit ans, elle était entrée deux fois dans la boutique d’un épicier pour y acheter des friandises et le marchand avait porté la main, à travers l’étoffe de sa robe, sur ses organes génitaux. Malgré ce premier incident, elle était retournée dans la boutique, puis cessa d’y aller. Par la suite, elle se reprocha d’être revenue chez ce marchand, comme si elle avait voulu provoquer un nouvel attentat.1 » Freud emploie le mot d’attentat2 pour nommer la violence et la déflagration de ce qui vient s’inscrire dans le corps du sujet confronté à l’irruption du sexuel comme rencontre traumatique. Le corps en est marqué.(...)"

     

    1Freud S., « Lettre à Fliess du 25 septembre 1895 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 2002, p. 365. Les « Lettres à Wilhem Fliess » sont publiées par Marie Bonaparte, Anna Freud, Ernst Kris.

     

    2Freud S., dans l’édition allemande, écrit : Attentate

    Les arguments

    Le Blog des J50

    En direction des J50

    Pour préparer les 50 èmes journées de l’ECF :
    les cartels fulgurants

    Un cartel fulgurant est un cartel composé de 4 ou 5 personnes plus Une, qui décident d’élaborer le travail sur un thème à partir d’un nombre de rencontres limitées dans le temps. En effet la fulgurance tient à la brièveté de la durée du cartel qui ne va pas plus loin que deux ou trois séances, et à la tentative de saisir, de ramasser, une question ou une trouvaille, en misant sur ce qui est apparu au décours du travail de lecture et de parole en petit groupe.
    Le thème de l’attentat sexuel n’est pas sans évoquer également la fulgurance. Mais celle-ci vient alors de l’irruption brusque de la pulsion et de l’invasion de la jouissance.
    A l’envers du discours de victimisation contemporain, le travail bref en cartel peut interroger ce qui de la jouissance échoie au sujet pour qu’il s’en fasse responsable.
    Le cartel fulgurant est propice à serrer des éclats de réels comme autant d’écornures de savoirs inattendus à transmettre. Invitation est faite à chacun de faire trace dans l’écrit d’un nouvel usage des signifiants tenant compte de la manière dont ils ont percuté le corps du parlêtre.
    La place qui convient sera faite aux produits des cartels dans Cartello, la revue en ligne des cartels de l’École ainsi que dans les manifestations en charge de préparer les 50 èmes journées consacrées à l’attentat sexuel.

     

    Les Détails

    Octobre 2020 |

    La semaine à quatre temps

    Du 12 au 16 octobre 2020 : quatre soirées s’orienteront du thème des Journées de l’ECF, « Attentat sexuel », sous le titre « Mal est diction sur le sexe ». Cinéma, littérature, théâtre, et danse, en seront les quatre vecteurs, articulant que si le sexe, on ne peut le dire que mal, cet impossible peut se cerner d’une éthique, celle du bien-dire. A cet égard, l’œuvre de l’artiste est une voie précieuse, elle ouvre une transmission possible par l’inédit que permet la création, subvertissant le déjà-là du sens commun. En effet, ce qui fait attentat aujourd’hui ne convoque-t-il pas la prescription, où chacun est sommé de prendre position : victime ou bourreau ?

    Notre pari sera de miser sur les effets d’une rencontre entre une œuvre issue de la culture et un texte de psychanalyse mis à l’étude, fragments, extraits, qui auront percuté les lecteurs. Se mettre au travail, répondait Lacan à Simone de Beauvoir qui l’interrogeait sur « Le deuxième sexe », attendant de lui un éventuel conseil.

    Des précisions seront apportées dans la prochaine Newsletter de septembre.

    Les soirées se tiendront en présence, dans les conditions de sécurité sanitaire actualisées.

    Le site

    CARTELS

    15 Septembre 2020 | Grenoble

    Soirée et bourse aux cartels

    Les journées numéro cinquante de l’École de la Cause Freudienne auront lieu à Paris, les 14 et 15 novembre 2020. Le titre est percutant : Attentat sexuel. Il n'est pas sans évoquer le "trauma" qu'est le sexuel pour chaque être parlant.

    Des cartellisants partageront leurs trouvailles en lien avec le thème des JE50 à partir des textes étudiés en cartel.
    Une partie de la soirée sera consacrée à la bourse aux cartels.

     

    Les Détails

    24 septembre 2020 | Lyon

    Bourse aux cartels
    "Réveils !"

    « C’est un de mes rêves à moi. J’ai quand même le droit, tout comme Freud, de vous faire part de mes rêves. Contrairement à ceux de Freud, ils ne sont pas inspirés par le désir de dormir. C’est plutôt le désir de réveil qui m’agite ». Jacques Lacan, « La troisième », 1974.

    Cette soirée de rentrée propose de mettre en éveil votre désir d’étude. Des cartellisants exposeront ce qui a fait réveil pour eux. Ce sera aussi le moment de constituer le cartel, celui que vous attendiez, celui dont vous rêviez, peut-être…

    Les Détails

    ECHOS

    4 juin 2020

    Echo de la Conversation préparatoire aux J50

    Iris Lopez-Suarez propose un Echo de la Conversation préparatoire aux 50ème Journées de l'ECF, "Attentat sexuel". Cette conversation a réuni les auteurs des arguments des Journées : Laurent Dupont, Caroline Leduc, Eric Zuliani, Angèle Terrier.


    "Quatre actes : c’est la manière dont j’ai entendu les quatre arguments des prochaines journées de l’ECF, les 50ème, 40 ans après la création de l’École de la Cause Freudienne par Jacques Lacan.

    Le choix a été fait de ne pas écrire un argument mais plusieurs. Je me suis demandée si le thème au travail n’y était pas pour quelque chose dans ce choix : à plusieurs voix ou voies ?

    Attentat sexuel, les termes freudiens résonnent avec l’actualité : le mouvement #metoo ainsi que les nombreux récits d’abus en témoignent.

    La psychanalyse nous enseigne que le sexuel est toujours un attentat pour l’être parlant, il est toujours traumatique et comme tel, il comporte l’indicible. Comment, chaque sujet fait, dans sa singularité, avec ce trauma ? L’utilité du fantasme est soulignée. Cette construction qui permet de voiler ce trou, quand elle se déchire rien ne fait barrière à la jouissance et la position d’objet que le sujet incarne pour la jouissance d’un autre, se dévoile. Vanessa Springora nous donne un témoignage saisissant dans son livre Le consentement . Comment distinguer la sexualité traumatique de structure et l’événement traumatique, l’abus ?

    L’irruption du sexuel sépare quelque chose dans le sujet, cela fait apparaître l’altérité dérangeante du corps propre. Comment chaque sujet s’arrange avec cette jouissance ? Il est impossible de (...)."

    Lire la suite

    18 juin 2020

    Soirée inter-cartels
    "Déplacements !"

    Par Jocelyne Huguet-Manoukian

    "Qui d’entre-nous aurait pu imaginer une soirée intercartels virtuelle avant le déclenchement de cette crise sanitaire mondiale ? Pour une première, Il faut bien dire que ce fut un plaisir de nous retrouver, de nous voir, de nous entendre et de saisir encore l’irréductibilité de l’effet de parole et de son énonciation pour transmettre les produits de cartel en public. De fait, la technologie a rendu possible cette soirée, tout en montrant aussi ses limites, quand les corps ne sont pas in praesentia.

    Le vif de cette soirée, nous le devons aux travaux présentés. Trois cartellisants n’ont pas reculé devant leur désir : faire part de leur expérience de cartel dans ce contexte inédit. Nous avions intitulé cette soirée « Déplacements » en « clin d’œil » au confinement ainsi que l’a souligné Véronique Herlant, avec la visée d’un travail provoqué.

    Trois exposés nous ont introduit à trois moments de déplacement incalculable. Clémence Pannetier a ouvert la soirée avec un texte dont l’intitulé « Sortir du huis clos » annonce le nouage avec le contexte du confinement. En appui sur sa lecture des « Complexes familiaux dans la formation de l’individu », elle a déplié sa lecture de la fixation narcissique au complexe familial. Un détour par un autre texte, « Motifs du crime paranoïaque : le crime des sœurs papins » lui a été nécessaire pour cerner ce qui du monde peut parfois (...)"

    Lire la suite

    PARUTIONS

    N°44 Juin 2020 | Bulletin de l'ACF en R-A

    Par Lettre
    FEMINITES

    Début de l'extrait de l'éditorial, écrit par Maï Linh Masset

    "C'est dans un contexte inédit que ce numéro de Par Lettre termine sa construction. Le contexte d'un réel qui frappe, qui saisit, sous la forme invisible d'un virus qui oblige chaque sujet à en répondre, à s'inventer pour ne pas demeurer pétrifié devant l'innommable. Ces textes sont le témoignage d'un désir vivant et singulier d'étude et de transmission, qui ne cède pas devant le réel en jeu.

    Le titre de ce numéro, Féminités, n'est pas étranger à la question du réel en jeu pour les parlêtres que nous sommes. Nous y retrouvons la trace de l'inconnu, comme point d'opacité qui échappe au savoir et au signifiant. Car en effet, La femme n'existe pas, ouvre un trou dans l'inconscient, formulé par Freud déjà, sous les termes de "continent noir".(...)"

    Les détails

    AU TEMPS DU (DE)CONFINEMENT

    Voici les contributions de nos collègues : Patrick Confalonierie, Nicolas Jouvenceau, Maï Linh Masset et Bérengère Nicolas.
    Toutes les contributions sont accessibles sur notre site dans la rubrique "Au temps du confinement".

    Jours tranquilles.

    Par Patrick Confalonierie

    Contre toute attente elle ne m’avait presque pas appelé pendant cette étrange période de confinement.
    À peine une fois ou deux pour me donner de ses nouvelles, plutôt bonnes en général : pas d’angoisse du matin au démarrage de la journée, toujours très matinal, pas cette obligation insistante d’énumérer dans l’ordre chaque instant qui devra composer sa journée, pas d’interrogation anxieuse sur sa capacité à réussir ce qu’elle a projeté de faire, et qu’elle effectue pourtant chaque jour.

    Ordinairement, elle ne réussit pas à prendre appui sur la nécessaire routine qui permet à chacun d’envisager sa journée comme possible, routine d’ailleurs utile pour accueillir l’éventuel imprévu.
    Tout se passe, pour elle, comme si chaque instant était une nouveauté et qu’elle avait du mal à le combiner avec le suivant pour donner corps à ce qu’on appelle communément une journée, concaténation d’instants qui se combinent, presqu’à notre insu, pour constituer une sorte d’appui qui nous soutient pour nous lancer, chaque jour, dans la petite aventure de notre existence, pour le coup banale.

    Pour elle, vivre, au sens de conduire son existence, ne va pas de soi, un certain « savoir- vivre » à proprement parler, lui fait quasi-défaut.
    Il lui faut carrément inventer chacune de ses journées, aucun discours ne vient donner un peu de consistance à son être, un sentiment de déréliction inaugure ses journées, elle ne peut les aborder qu’au prix d’un effort de construction épuisant et toujours à renouveler.

    Mais en ce temps de confinement, rien, de tout cela qui constitue habituellement son ordinaire !
    Mais une certaine légèreté de l’existence, ce qu’elle n’avait plus connu depuis bien longtemps, un temps même dont elle ne se souvenait plus, et dont elle se demandait parfois s’il avait seulement existé.

    Je la revis à la fin du dit confinement.
    Tout s’était comme évaporé, la longue litanie de ses énumérations dont elle me faisait témoins reprenait, évoquant le déroulement si difficilement construit de ses journées, comme elle le faisait à chacune de nos rencontres.
    Ce qui avait été formidable pour elle avait disparu.

    À nouveau il lui faut en effet absolument remplir ses journées, ce qu’elle fait d’ailleurs très bien avec beaucoup de réussite et d’invention alors qu’elle ne peut pas travailler, mais elle doit le faire comme si cela était un devoir, une obligation dont elle doit répondre devant, elle ne sait quel examinateur.
    En fait, mener à bien ses journées est une épreuve qu’il lui faut affronter malgré les grandes difficultés que cela représente.

    En quoi ce confinement était-il une aubaine pour elle ?

    Elle a toujours commercé avec plaisir avec ses semblables, elle a de nombreux amis qui l’apprécient, ce confinement n’a pas été pour elle l’occasion d’une fuite, d’un évitement de ce qui n’est nullement un embarras pour elle.
    Sauf que dérouler heure après heure, jour après jour son existence est un véritable combat.

    « Nous sommes en guerre » a-t-on dit à propos de ce virus.
    Pour elle c’est l’inverse, la voilà délivrée de l’obligation de se battre, qui plus est avec l’assentiment de tous.
    Mais cela ne durera qu’un temps.

    Confinement, isolement et risques politiques

    Par Nicolas Jouvenceau

    Je ne sais pas si c’est en tant qu’individu, analyste, enseignant ou citoyen que le confinement m’a le plus affecté. En tant que corps parlant, ces différents niveaux s’entrecroisent en moi indissociablement. Et le défaut de présence d’autres parlêtres – analysants, étudiants, collègues de travail,… – m’a rendu d’autant plus sensible à ce que pourtant je savais déjà : c’est de rencontres et d’interactions sociales in praesentia que s’alimentent et se déploient la vie affective et culturelle, ainsi que l’engagement politique dans la cité. Être-ensemble et être-avec-soi dans une pluralité supportable vont de pair.

    Telle est la raison pour laquelle les appels à « l’invention » et à la « créativité » – en particulier « numérique » et « virtuelle » – en période de confinement m’ont parfois irrité. Comme si l’on pouvait faire sans les corps ! Comme si l’on pouvait suppléer à la présence ! Comme si le « numérique » et le « virtuel » pouvaient faire vivre la « lettre » indépendamment de son incarnation et de la parole de celles et ceux qui la portent !

    Alors, bien sûr, comme chacun, j’ai dû « faire avec » et consentir à des stratagèmes temporaires : messages, appels téléphoniques, cours virtuels ou polycopiés, réunions par visio-conférence. Mais l’effet de perte est bien là, que ni le symbolique ni l’imaginaire ne viennent compenser. Et il continue actuellement à se faire sentir : toujours pas de cours, ni de préparation de mes étudiants aux oraux des concours (annulés !), pas de rencontres cliniques avec mes collègues analystes, annulation de la journée UFORCA en juin, annulation de la journée FIPA en septembre !

    Comme si l’espace professionnel et l’espace public se vidaient de la co-présence, qui constitue le principe de l’interaction intellectuelle et politique.

    Alors, oui, je suis traversé par quelques préoccupations. Préoccupation que les dispositifs mis en place, au plus grand bénéfice des entreprises du numérique voire de certaines institutions friandes en « innovations technologiques » dissimulant les carences en personnel (comme l’Education nationale !), ne perdurent dans le temps et accroissent le défaut de présence – et la peur de la présence de l’autre – déjà à l’œuvre antérieurement. Préoccupation que des dynamiques collectives et critiques peinent à se redéployer, alors même que les libertés fondamentales sont menacées par l’état et les lois d’exception. Préoccupation quant aux effets durables de la « distanciation sociale », abusivement (ou adéquatement ?) nommée pour désigner la distanciation physique.

    Au temps des Lumières, Kant écrivait ceci : « quelles seraient l'ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d'autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser : le seul joyau qui nous reste malgré toutes les charges de la vie civile et grâce auquel on puisse trouver un remède à tous les maux de cet état. »1

    Depuis lors, nous avons appris à mesurer la part sombre et le revers des Lumières. Mais l’histoire et la culture nous ont aussi conduit à mieux saisir la valeur des corps en présence – au détriment de tous les corps que certains voulaient voir (ou faisaient effectivement) disparaître ! Il n’est donc plus seulement question de « communiquer » ni même seulement de « penser » in abstracto, mais d’être-en-présence, pour construire des formes viables et plurielles d’être-ensemble. Ne pas pouvoir le faire étiole la pensée et l’action, et constitue une menace politique. Hannah Arendt le soulignait en diagnostiquant les dérives des sociétés modernes vers « l’isolement » des individus, pouvant conduire à la « désolation » dans les contextes totalitaires2. Notre époque est autre, mais « l’isolement » mérite d’être cliniquement et politiquement pris en compte dans ses effets et ses conséquences.

     

    1« Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? », 1786.

     

    2Le système totalitaire (Les origines du totalitarisme, t. III), 1951., chap. IV.

    Internet et le corps parlant

    Par Maï Linh Masset

    En cette période très particulière d’un réel qui frappe à nos portes tenues de rester closes, isolant les corps qui doivent ne pas1 se rencontrer, une question concernant la présence et l’acte de l’analyste s’est faite d’autant plus insistante dans sa vive actualité. Elle a résonné dans toute sa portée, dès l’annonce de la nécessité du confinement : il y avait des choix à faire faire, une position à soutenir, dans cette expérience inédite.

    L’instant de voir

    Il me parut d’emblée nécessaire de consentir, en tant que sujet me comptant dans le monde, aux séances par téléphone, voire par skype ou autre moyen audio-visuel. Pourtant, cette perspective me laissa rapidement dans une certaine intranquillité.

    Le temps pour comprendre

    D’Étre analyste, il n’y a pas. Cette fonction ne relève ni de l’ontologie, ni de l’identité. C’est toujours au cas par cas, et à certains moments seulement, que se vérifie dans l’après-coup, que de l’analyste, il y a eu (ou pas d’ailleurs…). C’est donc du registre d’un il existe, il y a, que par ses effets, se vérifie cette dimension, que l’analyste se révèle. Et en ce sens, il est, me semble-t-il, de la même étoffe que l’inconscient : susceptible d’apparaître comme susceptible de disparaître, si nous considérons que l’inconscient, qui s’ouvre et se ferme, ne peut être appréhendé en dehors du transfert. Il en va de même pour l’analyste, qui ne se saisit pas dans son être, ne se garantit pas dans une modalité.

    Si nous considérons que l’analyse est une expérience, si elle est le lieu où le sujet tente de cerner, au plus près, cette expérience première et traumatique, que fût pour lui la rencontre du corps avec la langue, et de la jouissance, alors comment faire fi du corps dans une séance d’analyse ? Le parlêtre qui vient en séance parle avec son corps, et se fait le témoin de la façon dont il est affecté, percuté ; il vient rencontrer le corps de l’analyste, qui certes, se fait silencieux, mais sert à l’occasion, de soutien à l’interprétation en acte, une interprétation parfois sans parole. Intranquillité donc, dans les usages qui peuvent se faire sans les corps, si nous gardons l’orientation vers le réel en jeu dans chaque analyse.

    Le moment de conclure, quant à lui, n’est pas encore venu.

     

    1J’emprunte cette formule à Delia Steinmann, énoncée lors du dernier séminaire théorique de l’antenne de Grenoble de la Section Clinique de Lyon.

    Raccords

    Par Bérengère Nicolas

    Une fois le nouvel ordre arrivé1, comment sort-on du confinement ? S’agit-il seulement de réinvestir les espaces et les rythmes propres à chacun ? Comment se réapproprier ces fondamentaux pour soi et dans nos liens ? Chacun s’accordera à dire qu’il ne suffit pas de le proclamer.

    Un terme, qui est aussi une métaphore, m’est venu instantanément à l’évocation de ce moment particulier du déconfinement : raccord. Ce mot, qui présente une forme déverbale exprimant l’action nous indique Alain Rey2, correspond dans sa forme ancienne à « réconciliation » puis « réunion de deux parties séparées ». Il a conservé toute sa place par la suite sur un plan technique comme en architecture, en plomberie ou en esthétique (faire un raccord de rouge à lèvres). Mais c’est son usage dans les arts du spectacle qui retiendra ici mon attention.

    Au cinéma le raccord est un plan conçu spécialement pour ajuster deux séquences qui n’ont pas forcément été tournées dans un ordre successif, et éviter ainsi les incohérences. Ce montage s’effectue en aval du tournage. Faute de cette précaution, la vraisemblance peut être atteinte et la crédibilité de l’œuvre s’en trouver perturbée. C’est une sorte de maquillage qui masque les défauts et les inadaptations du film, permettant la continuité de l’image.

    Après cette brèche instaurée par le confinement et les barrières sociales, comment raccorder le travail de la subjectivité ?

    On pourra penser qu’appliquer cette métaphore à la clinique post confinement relève du forçage pourtant il me semble qu’il s’agit là d’autre chose que d’une jointure.

    Le travail de raccord opère sur la tache à retoucher dans le tableau et remet ainsi en fonction l’objet regard dans le transfert. En outre, la dimension du raccord implique celle du semblant et indique combien l’hystoire, la fiction sont nécessaires pour renouer et reprendre le travail à l’œuvre dans nos pratiques.

    Alors que j’avais pris soin de prévenir cette analysante de la possibilité d’une continuité téléphonique pendant le confinement, j’ai été surprise, en la retrouvant, de l’entendre me dire qu’elle pensait que j’étais restée confinée, suspendant toute pratique. L’intermittence étant son mode de jouir, puisqu’elle a tendance à disparaitre et à réapparaitre régulièrement dans ses domaines privés comme professionnels, je m’en suis saisie pour épingler cette croyance. Voilà son petit arrangement dévoilé et sa fiction relancée…

    Ainsi faire vibrer la dimension de la fiction pour lui redonner une place dans la subjectivité de chacun me semble une voie pour la reprise non pas d’un ordre mais du lien social en tant qu’il est affaire de discours. Reprendre corps et langue, pas sans trouver une façon de réajuster les scènes, au cas par cas.

     

    1Sandy Barritault, « Jusqu’à nouvel ordre », disponible sur le site NL mai

     

    2Alain Rey,Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 2019.

    ANNECY - GRENOBLE - LYON - VALENCE

    Visitez notre site internet

    Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux  
    Twitter Association Cause Freudienne Rhône-Alpes Facebook ACF Rhône-Alpes

    Vous avez reçu cet email car vous êtes abonné à la Newsletter de l’Association de la Cause Freudienne.
    Vos coordonnées ne seront pas utilisées à des fins de prospection commerciale. Conformément à la réglementation applicable en matière de données à caractère personnel, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition de vos données à caractère personnel que vous pouvez exercer en nous contactant à l’adresse email : acfradelegation@gmail.com ou par courrier à l’adresse suivante :
    Association de la Cause Freudienne, chez Véronique Herlant, 3, rue Jangot, 69007 Lyon.

    Si vous ne souhaitez plus recevoir d'e-mails de notre part, vous pouvez vous désabonner