Soirée des cartels : RÉVEILS !

  • Soirée des cartels : RÉVEILS !
    Soirée des cartels : RÉVEILS !
  • Soirée des cartels, le 1er octobre 2020, 21h, au cpct.

     

    Animée par Jocelyne Huguet-Manoukian, responsable des cartels en Rhône-AlpesInterventions de Nicole Borie, membre de l’ECF, et de Jérôme Lecaux, membre de l’ECF

     

    Mesures de distanciation sociales, port du masque.

    Prudent de réserver : huguetmanoukian.jocelyne@wanadoo.fr

  • REVEILS !

     

    Jocelyne Huguet Manoukian

     

    Il y a tant de façons de se réveiller ! Après un sommeil léger ou profond, le réveil vient d’un bruit, d’une sonnette, du contenu d’un rêve, d’une lumière, d’une habitude… L’instant du réveil, plus ou moins agréable ou pénible, porte avec lui une imminence : joie, lourdeur, tristesse, angoisse, élan, douleur..traces de l’affect noué au désir dissimulé dans nosrêves et qui oriente notre vie. Ainsi le réveil peut s’intégrerdans le ronron de la vie quotidienne ou tout perturber. Il devient alors surprise, rencontre inattendueévénement, écho d’un mot ou d’un dire qui brusquement nous déloge. Quand sommes-nous vraiment réveillés ? Qu’est- ce qu’un réveil chez le parlêtre Quels sont les rapports entre rêve et réveil ? 

    En posant la question qu’est -ce qu’un rêve, Freud a trouvé une réponse inédite. Le rêve a la forme d’un texte ! c’est le récit qu’en fait le rêveur. Et ce récit est à entendre là où çabute, dans ce que le rêveur nomme ses approximations, ses trous de mémoire, ses flous, ses incompréhensions, ses bizarreries… Autant de façons de se protéger ou de se rapprocher de l’horreur qui préside au désir d’être du rêve.Relisant Freud, Lacan souligne « un rêve ça n’introduit à aucune expérience insondable, à aucune mystique, ça se lit dans ce qui se dit »1 Puis, avec un pas de plus, il indique qu’on passe son temps à rêver et pas seulement dans le sommeil2Alors le réveil, comment l’approcher si on passe son temps à rêver ? Si l’on part de l’expérience du rêvele réveil révèlel’instantané d’un brin de nouveautéDe même, dans les cartels, nous avons l’habitude de dire qu’il y a des réveils qui ont la fulgurance de l’éclair, un peu comme dans les rêves. Ce sont le plus souvent des petites choses, un détail, un étonnement, un changement de regard, une autre façon de lirequi bouscule un cartellisant… Dans le meilleur des cas, le cartel met en tension notre rapport au savoir comme notre façon de dire et de lire. Il nous extirpe d’un savoir académiquesusceptible de faire bouchon à ce qui cause le désir et oriente le discours analytique. Ce dernier, issu de la découverte freudienne de l’hypothèse de l’inconscient, déduite du texte des rêves, est toujours dérangeant. partir du caractère problématique du réveil dans ses rapports avec l’irruption de la jouissance de l’inconscient réel, deux intervenants en appui sur leurs travaux de cartels viendront interroger ce termeNicole Borie questionnera le réveil dans sa proximité avec le rêve et Jérôme Lecaux nous fera la primeur d’un extrait du texte qu’il a préparé pour le XXIIème congrés de l’Association Mondiale de Psychanalyse : le rêve, son interprétation, et son usage dans la cure lacanienne.

    Entretemps, ce congrès qui aurait dû se tenir du 14 au 18 décembre 2020 à Buenos Aires, a été annulé du fait de la situation sanitaire. Mais les travaux demeurent comme autant de moments choisis, dont nous allons pouvoir bénéficier.

    Pour cette soirée rentrée des cartels qui nous invitent à quelques instants de réveils, nous prendrons le temps de l’échange et de la bourse aux cartels.

     

    [1] Lacan J. Le séminaire livre XX, Encore, texte établi par J.A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p 88

    [2] Lacan. J. Une pratique de bavardage, Ornicar ?, n°19, 1979, p 5

  • Rêve et réveil

     

    Nicole Borie

     

    Rêve et réveil se mélangent, nous pouvons rêver que nous nous réveillons et continuons de dormir…

    Rêver : le verbe a d’abord eu le sens de délirer, et cette acception reste encore en usage chez les auteurs du XVIIesiècle.

    Le sens moderne devenu courantde voir en songe pendant le sommeil, s’est dégagé au XVIIsiècle : « il est devenu prédominant, supplantant songer au XVIII et XIX siècles et s’implantant dans la phraséologie courante « il me semble que je rêve » ou « on croit rêver ». 

    Éveiller qui signifie d’abord : tirer du sommeil, s’éveiller, se réveiller, s’est imposé très vite depuis le XIV siècle.

    J’aime cette nuance entre l’éveil et le réveil. On éveille l’esprit, c’est l’éveil du printemps ; on se réveille, on sort de la rêverie. Et c’est bien ainsi que je conçois le travail de cartel. Ça réveille.

    Chacun vient avec sa question et c’est souvent toujours un peu la même, celle qui travaille au fond de notre inconscient. Puis il y a ce moment où chacun formalise l’intitulé du travail qu’il se propose pour le temps du cartel. C’est un moment précieux où l’on met dans le pot commun du cartel sa touche singulière et tout de suite, immédiatement, vient le point de butéeChacun est seul avec ce qu’il veut dire. Ce qui paraissait clair l’instant d’avant dans la discussion retourne dans l’ombre. Pasfacile de l’attraper avec simplicité. C’est normal. Si nous savions comment le dire il y aurait du souci à se faire. Cela arrive parfois en un éclair, un petit espace lumineux : je travaillerai bien ce point-làJusque-là tout va bien mais : « Oui comment tu le prends comme objet de travail ? » Là on s’embrouille à coup sûr et heureusement car l’énoncé et l’énonciation ce n’est pas du tout pareil.

    Le cartel est une structure minimale : 4 ou 5 qui s’assemble autour d’un thème. Ce thème donne le la. Il convient pour se mettre au travail. Dans une certaine contingence les cartellisant ainsi réunis décident d’un plus Un qui fera exister le cartel comme lieu de recueil des questions de chacun. Une certaine mise en commun se fait mais il en est attendu un produit individuel car il n’y a pas de sujet collectif de l’énonciation.

    Comme avec nos rêves, dans le travail en cartel nous déchiffrons. Et nous déchiffrons d’abord ce qui rate à se dire et qui s’entend dans l’énonciation. Pourquoi ne peut-on pas poser la question de notre travail simplement ? Le savoir théorique et le savoir inconscient ne s’articulent pas si facilement que ça. Le cartel est un outil pour expérimenter cette articulation à partir d’un thème commun qui devrait nous rassembler nous éprouvons ce qui ne fait pas compréhension commune.

    Dans le cartel nous éprouvons la plus grande difficulté à vérifier l’adage de Nicolas Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » L’énoncé clair d’une question est un rêve et nous rêvons d’un énoncé clair et précis. Mais la précision dans notre champ est ailleurs. Le travail en cartel nous faire faire l’expérience de ce que parler veut dire. La parole en psychanalyse est d’abord un dit, c’est un « tu le dis »« tu as dit ça ». Et l’analysant fait l’expérience de découvrir ce qu’il a dit, de ne pas le comprendre de buter dessus, comme un texte venu d’un autre

    En cartel, la belle démonstration n’a pas lieu. Ce n’est pas ce qui est visé. À quelques-uns nous nous intéressons à ce qui « s’énonce comme cela peut », à ce qui balbutie,  se répète, ce qui cherche une issue là où les formules symboliques peinent à lui donner forme.

    « Nulle vérité ne saurait se localiser que du champ où cela s’énonce – où cela s’énonce comme cela peut !   Donc, il est vrai qu’il n’y a pas de vrai sans faux, au moins dans son principe. », nous dit Lacan

    À quel savoir s’attache notre désir de travailler en cartel ? 

    Le désir de savoir que nous expose régulièrement Sigmund Freud tout au long de son œuvre est alimenté par les impasses de sa clinique. Il en extrait de nouvelles perspectives qui renouvellent les concepts et transforment la pratique elle-même. La question de la vérité se déplace déjà chez Freudvers un usage, « une construction », et sa transmission trace la voie d’un désir où le souci du réalisme et du détail prévalent sur les idéaux vertueux.

    Le savoir, celui de la connaissance nous endort, nous en rêvons, il nous reposerait du savoir en jeu dans la psychanalyse qui lui, vise une vérité. Cela ne veut pas dire que nous pouvons nous passer du savoir universitaire, il est très utile mais il ne peut rien nous apprendre sur le savoir troué avec lequel opère la psychanalyse.

    « Si le savoir est moyen de la jouissance, le travail est autre chose. Même sil est accompli (le travail) par ceux qui ont le savoir, ce qu’il engendre, ce peut certes être la vérité, ce n’est jamais le savoir – nul travail n’a jamais engendré un savoir. » 

    Le travail en cartel nous confronte à un point critique parfois de crise quant à notre rapport au savoir tel qu’on l’a rêvé.

    Il est demandé au cartel une transmission. Commenttransmettre son travail de cartel ? Comment transmettre ce que l’on peut extraire de l’expérience du cartel. Un produit est attendu il est à la fois toujours production d’un cartellisant et pourtant produit du cartel. 

    Comme dans le travail du rêve, nous cherchons en cartel à déchiffrer ce qui nous échappe dans la compréhension d’un concept. Nous lisons souvent des séminaires de Lacan ou de J-A Miller et nous faisons l’expérience de ne pas savoir ce que nous ne comprenons pas. Le rêveur chiffre et déchiffre les formations inconscientes de son désir. Le cartellisant déchiffre un concept et s’aperçoit comment ce qu’il veut savoir lui échappe. Chaque cartellisant est confronté à un « tu peux savoir ». L’éclairage vient d’ailleurs : de la surprise de s’entendre dire, de la trouvaille d’un autre. Autrement dit,dans un cartel « ça rêve, ça rate ça rit ».